LITIGE MARINS ARMATEURS

Règles de conciliation et de compétence pour la résolution des litiges individuels entre les marins et leurs employeurs

Il était attendu avec impatience et de longue date: le décret n°2015-219 du 27 février 2015 relatif à la résolution des litiges individuels entre les marins et leurs employeurs a été publié au journal officiel du 28 février 2015 et est entrée en vigueur le lendemain de sa publication, le 1er mars 2015.

Avant même la parution de la partie réglementaire du Code des transports, certains articles du décret n° 59-1337 du 20 novembre 1959, relatif aux litiges entre armateurs et marins avaient été abrogés, laissant place à de nombreuses incertitudes.
Le nouveau décret répond à la majeure partie des questions posées, même s’il réserve d’éventuelles contestations.
Le visa du Conseil supérieur de la Marine Marchande est absent, contrairement aux dispositions de l’article 2 2° du décret n°2002-647 du 29 avril 2002 relatif à la composition, aux attributions et à l’organisation du Conseil supérieur de la marine marchande.
Par ailleurs, le décret ne règle pas la compétence d’attribution en ce qui concerne le capitaine de navire.

La conciliation

Le décret organise la conciliation préalable à la saisine du tribunal dans des conditions proches de celles qui étaient prévues par l’article 4 du décret 59-1337 du 20 novembre 1959.

Elle ne concerne que les marins, à l’exception du Capitaine.

Le Directeur départemental des territoires et de la mer (DDTM) est compétent pour procéder à la tentative de conciliation des litiges. Il peut déléguer à un agent qualifié placé sous son autorité. Le DDTM compétent est celui du domicile du marin ou du port d’embarquement ou de débarquement du marin ou, au choix du marin, celui du port où l’employeur a son principal établissement ou une agence ou, à défaut, du port d’immatriculation du navire.

La demande est formée par tous moyens et un accusé réception est remis pour établir une date certaine.

Cette indication ne règle pas la question des effets de cette demande sur le point de départ de la prescription des demandes salariales.

La Cour de cassation avait jugé, sur le fondement de l’article 2244 ancien du Code civil, que la tentative de conciliation devant l’administrateur des affaires maritimes, exigée par l’article 2 du décret 59-1337 du 20 novembre 1959, constituait un acte interruptif de prescription. (Cass. Soc. 23 fév. 2000, n° 97-45816).

La même Cour avait jugé, sur le même fondement, que l’effet interruptif résultant d’une action en justice se prolongeait jusqu’à ce que le litige trouve sa solution et que la saisine de l’administrateur des affaires maritimes d’une demande de tentative de conciliation, préalable obligatoire à l’action devant le tribunal d’instance statuant en matière maritime interrompait tout délai. (Cass. Soc. 24 mars 2004, n° 02-40574).

Cette jurisprudence ne devrait pas être modifiée par l’entrée en vigueur de ce nouveau décret.

Au cours de l’audition, les parties doivent comparaître en personne, sauf si elles justifient d’un motif légitime, auquel cas elles peuvent se faire assister ou représenter par un marin, un délégué d’une organisation syndicale, leur conjoint (partenaire pacsé ou concubin), ou enfin un avocat. L’employeur peut également se faire assister ou représenter par un membre de l’entreprise ou de l’établissement.

Les nouvelles dispositions prévoient qu’un procès-verbal de caducité peut être dressé lorsque personne ne comparaît en demande, ainsi qu’un procès-verbal de défaut de conciliation pour non-comparution et absence de représentation du défendeur, lorsque personne ne comparaît en défense.

Ces procès-verbaux permettent de saisir le tribunal d’instance compétent.

La compétence du tribunal d’instance

La compétence d’attribution du tribunal d’instance est précisée et étendue aux contestations relatives à la formation, à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail entre l’employeur et le marin.

Ce décret vient conforter la décision de la Cour de Cassation qui avait jugé, le 12 février 2014 (Ch. soc. – No 13.10643) qu’il résultait de la combinaison des articles L. 5541-1 et L. 5542-48 du code des transports et de l’article R. 221-13 du code de l’organisation judiciaire, que le tribunal d’instance était seul compétent pour connaître, après tentative de conciliation devant l’administrateur des affaires maritimes, des litiges entre armateur et marin portant sur la conclusion, l’exécution ou la rupture du contrat d’engagement régi par le code du travail maritime, que le litige concerne ou non les périodes d’embarquement.

Surtout, la compétence territoriale du tribunal d’instance est également précisée et est celle du tribunal d’instance du ressort duquel se situe soit le domicile du marin, soit le port d’embarquement ou de débarquement du marin, soit, au choix du marin, le port où l’employeur a son principal établissement ou une agence ou, à défaut, le port d’immatriculation du navire.

La modification est d’importance.

Les articles 3 et 4 du décret 59-1337 du 20 novembre 1959 prévoyaient la compétence du tribunal du port d’embarquement, du port d’escale ou du port de débarquement, lorsque le litige naissait en France métropolitaine ou dans un département d’outre-mer.

Dans les autres cas, la compétence du tribunal du port où le marin est domicilié ou résidant n’était envisagée que pour la contestation soulevée par l’armateur. Lorsque la contestation était soulevée par le marin, le tribunal compétent était celui du port où l’armateur avait son principal établissement maritime ou une agence ou, à défaut, celui du port d’attache du navire.

Depuis l’abrogation de l’article 3 du décret 59-1337 du 20 novembre 1959, l’article L 5541-1 du Code des Transports renvoyait à l’application du Code du travail, et la juridiction territorialement compétente pouvait être déterminée par analogie en appliquant les dispositions de l’article R1412-1 du code du travail.

Le Code du travail prévoit la compétence territoriale de la juridiction du domicile du salarié, lorsqu’il s’agit également du lieu où l’engagement a été contracté ou lorsque le travail est accompli en dehors de tout établissement. Cet article avait été appliqué dans un litige entre un marin et son armateur, notamment par la Cour d’Appel de RENNES, 9ème Ch. Prud’homale, dans un arrêt du 3 octobre 2012, commenté au Droit Maritime Français 2013, n° 747, pp. 425-432, observations P. CHAUMETTE « A droit constant, le marin trouve son tribunal près de chez lui ? » .

La nouveauté apportée par le décret du 27 février 2015, qui permet expressément au marin de saisir le tribunal d’instance dans le ressort duquel il est domicilié, sera certainement de nature à faciliter l’accès des marins à la juridiction.

On peut regretter que les nouvelles dispositions soient muettes quant à la situation du Capitaine.

Certains estiment que la situation du capitaine doit s’aligner sur celle des marins et relever du Tribunal d’instance, sans tentative de conciliation devant l’autorité compétente.

On peut cependant observer que l’article L5542-48 du Code des transports, comme le décret du 27 février 2015, réservent une mention particulière au cas du Capitaine, dispensé de conciliation préalable. L’absence de tentative de conciliation était liée à la compétence du tribunal de commerce qui ne connaît pas cette procédure préalable à l’action au fond.

Il convient de rappeler que la codification soit s’opérer à droit constant : même si le code du travail maritime a été abrogé et remplacé par le code des transports, la compétence du tribunal de Commerce pour les litiges entre les armateurs et les Capitaine semblait pouvoir être maintenue.

D’une part, le Conseil d’Etat a, par un arrêt du 23 novembre 2011 (N° 344753), rappelé le principe selon lequel, les dispositions codifiées sont celles en vigueur au moment de la publication de l’ordonnance, sous réserve des modifications nécessaires notamment pour assurer le respect de la hiérarchie des normes, la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés, harmoniser l’état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions devenues sans objet.

D’autre part, la compétence de la juridiction commerciale a, par une longue tradition, été justifiée par le fait que le Capitaine réalise des actes de commerce. Il est électeur et éligible à la juridiction consulaire.

Il faudra attendre que la Cour de cassation se prononce et l’attente pourrait générer des incertitudes peu compatibles avec les exigences d’un droit social moderne.

Si la tentative de conciliation est pertinente, elle doit l’être pour tous.

La simplification des procédures administratives n’est pas simple.

Isabelle JARRY, Avocate au Barreau de NANTES